Ce 8 novembre sort en salles le film Borg/McEnroe avec Shia LaBeouf. Il retrace la rivalité qui a fait vibrer le tennis dans les années 80 : celle entre John McEnroe et Bjorn Borg. Retour sur un duo de légende.
Vous faisiez quoi le 5 juillet 1980 ? C’était un samedi, le premier d’un été exceptionnellement pluvieux. Le temps était à l’orage et n’invitait franchement pas à sortir. Alors, comme des millions de Français c’est certainement devant le poste de télévision que vous avez passé cet après-midi-là : Antenne 2 – comme s’appelait alors la deuxième de nos trois chaînes – diffusait la finale de Wimbledon. Une affiche de rêve. Le choc de deux mondes ! D’un côté, le Suédois Björn Borg, impassible, vingt-quatre ans seulement mais un palmarès déjà long comme le bras. De l’autre côté du filet, John McEnroe, le révolté, de trois ans son cadet. Un fils à papa de New York. Depuis peu, on le surnomme Superbrat, « le sale morveux ». Dans la vie, c’est un fêtard qui ne répugne pas à se droguer et à boire les veilles de match. Mais sur le court, une teigne. La terreur des arbitres. Ils se sont déjà affrontés sept fois, et ce huitième face-à-face, décorum oblige, tient du duel dantesque entre superhéros. C’est la glace contre le feu, la discipline contre le désordre. Deux façons opposées de se comporter dans la vie…
Quatre longues heures durant, les deux hommes vont disputer cinq sets d’anthologie. Une intensité jamais vue. Borg vient de gagner à Roland-Garros et, à Wimbledon, personne n’a encore été capable de le battre depuis sa première victoire en 1976. McEnroe, l’imprévisible gaucher, va être tout près de faire tomber celui qu’on appelle « le Martien ». Tout près. Mais pas assez cependant. Et Borg entre encore dans l’histoire, avec une cinquième victoire d’affilée en terre britannique, sous les yeux de Katharine, duchesse de Kent qui lui remet la coupe. Pourtant, quelque chose s’est brisé en lui au terme de cette confrontation épique, ainsi qu’il le confiera. Ayant dû puiser dans ses réserves, il a éprouvé les limites de sa force de caractère après quinze ans d’abnégation, à taper des balles comme on plante des clous. « Tout ça n’avait plus le même sens. » L’année suivante, sur le même gazon, Borg perdra même son trône presque soulagé, face à McEnroe, son jeune challenger, avant de vite prendre sa retraite. Pour lui, le début d’une nouvelle vie, faite, cette fois, d’échecs et de désillusions. Le film Borg/McEnroe revient sur l’opposition mythique entre les deux champions, en s’attachant surtout à dépeindre leur humanité, leurs failles. Et elles furent nombreuses hors des courts où ils avaient bâti leur légende.
Björn Borg est né en 1956. A grandi dans la banlieue de Stockholm dans un milieu modeste. Il a neuf ans seulement lorsque le tennis, « sport de riches », entre dans sa vie. Son père, joueur de tennis de table émérite, vient de remporter un tournoi et offre à son fils la raquette en bois doré qu’il a reçue en trophée. Björn, le mutique, le renfrogné, ne va plus la lâcher, s’entraînant à frapper des balles contre la porte du garage familial, jour et nuit, en mode psychotique. A dix ans, il attire l’attention d’un grand coach, Percy Rosberg, surpris par sa prise de raquette à deux mains. Il l’invite à s’entraîner avec lui, ce qui contraint le gamin à faire une heure et demie de transport aller et retour, chaque jour après l’école. Week-ends compris. Pendant cinq ans ! Tant de régularité paie. Rapidement, le surdoué remporte ses premiers tournois, débute (et gagne) en Coupe Davis à seulement quinze ans et devient champion du monde junior.
Comme le dévoile le film dans ses flash-back, c’est encore une époque où, colérique, il fracasse ses raquettes après un point raté, bien loin du « bouddha » en short qu’il personnifiera plus tard. Une mutation due au travail de son mentor Lennart Bergelin qui lui a appris à canaliser ses nerfs. « Il me disait : “Ne te lamente pas sur un point perdu. Pense au suivant ”. Et j’ai, en effet, réalisé que pour prétendre me battre, le joueur en face devrait en aligner deux mille autres. » A l’âge adulte, à mesure qu’il enchaîne les victoires, le champion a développé nombre de superstitions : il cesse de se raser lorsqu’il entame un tournoi ; réclame que, d’une année sur l’autre, son chauffeur utilise la même voiture et emprunte le même chemin pour aller au stade. Son poids aussi l’obsède. A 100 grammes près, il ne doit pas varier. Une femme est le témoin de son fastidieux rituel : l’ancienne joueuse roumaine Mariana Simionescu. Quand démarre Wimbledon, elle vient d’abandonner sa carrière pour l’homme qu’elle aime. Ils se sont connus à Roland-Garros. « Le 10 juin 1976 est marqué à vie par cette rencontre », confie-t-elle alors à la presse anglaise. Pour la séduire, le timide maladif a dû quitter sa zone de confort. « Il m’a appelée dans ma chambre à 22 heures pour me demander si je voulais sortir avec lui. J’ai demandé l’autorisation à ma mère qui m’a conseillée de ne pas m’éterniser. Il était 5 heures du matin quand je suis revenue. Le temps avait filé… » Mariana se souvient encore de son infinie douceur. « Avec moi, il exprimait très bien ses émotions sauf les jours (rarissimes) de défaite. Il lui fallait trois jours pour s’en remettre. Il ne parlait plus. » La jeune femme doit aussi faire avec l’enthousiasme que le champion soulève. C’est un boys band à lui seul ! Des nuées de filles l’attendent partout, pour un autographe, un baiser, une photo.
Lorsque McEnroe n’était encore que ramasseur de balles, il fut le témoin de cette adoration. Il l’a racontée dans son autobiographie. « Je me disais, ce type a l’air si cool ! J’espère devenir professionnel et vivre ce qu’il vit. » Borg était l’idole de McEnroe. Le film nous le rappelle. C’est l’autre attachante particularité qui caractérise la relation entre les deux hommes. « Quand tu as un modèle et que la vie te donne l’opportunité de l’affronter, puis de devenir son ami autant que son rival, c’est très étrange. Björn a été désarmant de gentillesse avec moi, y compris dans les vestiaires avant un match. Il m’encourageait à me calmer. J’avais dix-neuf ans, lui vingt-deux. Sa bienveillance m’a énormément aidé à donner une autre image de moi. » Quand par la suite, Borg connaîtra des coups durs, l’Américain sera toujours le premier à l’aider : en 2006, il lui évitera de vendre aux enchères ses coupes gagnées à Wimbledon…
Lorsque Borg a annoncé, en 1983, qu’il quittait le circuit, « Big Mac » avoue avoir été désemparé. « Notre rivalité aurait pu durer plus longtemps. Tout le tennis en bénéficiait. » Lorsque John obtient sa revanche en 1981, toujours à Wimbledon, il se souvient d’avoir vu Borg « soulagé d’avoir perdu. Libéré d’un coup de tant d’années de pression ». Et lorsqu’il le bat de nouveau, quatre mois plus tard, à l’US Open, il dit avoir vu son comparse « absent, sans jus. Je n’ai pas compris ce qu’il se passait ». L’après-tennis n’a pas été facile pour Borg. Nul en affaires, il a connu la ruine et sur le plan affectif des revers successifs. Après sa dernière victoire à Wimbledon, il a épousé Mariana et divorcé quatre ans plus tard. Ensuite, il a notamment rencontré une jeune suédoise, la mannequin Jannike Björling, qui lui a donné un enfant puis une chanteuse italienne, Loredana Bertè, qui l’a démoli dans un livre de souvenirs assassins. « Contrairement à ce qui a été écrit, jamais je n’ai voulu me suicider. Mes affaires n’étaient pas brillantes mais pas de quoi me tuer. Cette rumeur m’a blessé. » Aujourd’hui, il a soixante et un ans et est heureux en amour. Sa femme, Patricia Östfeldt, travaille avec lui dans la boutique de vêtements qui porte sa griffe. Elle lui a donné un fils, Leo, quinze ans. Son portrait craché. Il joue son père enfant dans le film qui retrace sa gloire. Comme si l’histoire recommençait.
Carlos gomez
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